Comment voyez-vous Schmuel Weismann justement ?
Gad Elmaleh : Ce n’est pas un utopiste mais c’est un optimiste. Un réel optimiste qui a confiance dans la France. Et qui a aussi l’espoir de la dernière chance. A un moment donné, il ne reste en effet que l’espoir. Que peut-on faire d’autre quand on a des fusils braqués sur soi, à part se dire : "On va s’en sortir !". D’ailleurs, moi-même, j’ai toujours pensé que si j’étais pris dans une catastrophe, je serai survivant !
Est-ce en cela qu’il est proche de vous ?
Gad Elmaleh : Oui, j’ai cet optimisme. D’ailleurs, même aujourd’hui, je n’ai pas assimilé l’idée, ou je l’ai refusé ! Que mon personnage n’ai pas pu s’en sortir et qu’il soit mort comme tous les autres qui sont partis avec lui… Son attachement à la famille aussi est proche de moi. Même si on n’a pas besoin d’être père pour se sentir concerné par le malheur qui est infligé aux enfants, tout de suite j’ai pensé à mon fils quand j’ai vu les gamins… Son attachement à la France aussi est proche du mien. On oublie trop souvent que les juifs de France sont des enfants d’immigrés, arrivés ici avec rien et qui ont fait de ce pays le leur. Il a ce côté "Je viens d’ailleurs" dans lequel je me reconnais bien. Je viens tout le temps d’ailleurs. Partout, je suis d’ailleurs.
Quel souvenir gardez-vous de votre rencontre avec Joseph Weismann ?
Gad Elmaleh : Forcément émouvant. Tout d’un coup, vous êtes face à la réalité, à la vérité, c’est d’une telle force… C’est même impressionnant. Tout ce qu’on va pouvoir faire sera tellement inférieur à ce qu’a été la réalité... J’ai repensé aux images de La Marche du Siècle que Rose m’avait montrées, je me souvenais de l’émotion qu’il dégageait dans ce témoignage… Et puis, je joue quand même le rôle de son père ! On a plaisanté avec ça. Il m’appelait “Aba”, “papa” en hébreu… C’est à la fois touchant et drôle. C’est un homme qui est plein d’humour aussi.
Et de jouer un ashkénaze, vous qui êtes séfarade, était-ce un défi supplémentaire ?
Gad Elmaleh : J’avais bien quelques petites interrogations, mais franchement jouer un ashkénaze ou un musulman ou un slovaque épileptique, ce n’est pas ça qui me faisait peur. C’était davantage le registre du drame qui m’impressionnait. Mais Rose m’a très bien dirigé, sans jamais me laisser aller dans ce que je savais faire. J’ai d’ailleurs compris sur ce film qu’il fallait s’abandonner complètement et avoir une grande confiance en la personne qui vous dirige : c’est finalement le meilleur moyen pour inventer des choses, pour laisser des choses vous échapper. Moi qui me connais bien, qui connais bien mon travail, j’ai découvert à la vision du film des plans de moi que je ne connaissais pas, que je n’avais pas anticipés, qui m’avaient échappés, et que Rose avait su non seulement capter mais susciter… Je suis surpris par le travail qu’elle a fait, par le travail qu’on a fait ensemble, comment elle a été chercher l’émotion…
Comment avez-vous travaillé avec elle ?
Gad Elmaleh : Elle est tellement imprégnée de son sujet, de la vérité et de la force de ce sujet, qu’elle n’avait pas besoin d’entrer dans de grandes explications de direction d’acteur, il lui suffisait de nous donner de légères indications afin de nous faire faire des choses qui collaient au plus près de la réalité. Elle ne disait pas : "Je veux que tu le fasses plus comme ça » mais : "Il était plutôt comme ça, Schmuel". Elle s’est tellement investie dans ses recherches qu’elle a des idées très précises sur ces faits qui ont existé, sur ces personnages. C’était d’autant plus facile d’être en confiance et de s’abandonner.
Qu’est-ce qui vous frappe chez elle ?
Gad Elmaleh : C’est quelqu’un qui est très émotif et qui est, en même temps, une force de la nature. C’est une guerrière. Ce qui me rassure en général chez les artistes, ce n’est pas de voir que ce sont des guerriers, mais que derrière cet aspect, ce sont des gens fragiles. Elle, c’est exactement ça. J’étais frappé, et ému, de la voir parfois regarder des scènes avec les larmes aux yeux et, dans la seconde d’après, de l’entendre dire : "Allez, OK, c’est bon, on y va, on passe à la suivante !". Avec une grande pudeur, elle redressait tout le plateau.
Y a-t-il une scène que vous, vous appréhendiez particulièrement ?
Gad Elmaleh : La scène de la séparation avec les enfants. Rien que d’en parler... Je repense à ce moment à Budapest. Il y a des caméras, il y a des techniciens, c’est un plateau de cinéma mais on est quand même en train de tourner quelque chose qui a existé. On fait une fiction mais on est en train de reproduire quelque chose qui s’est réellement passé. C’est troublant, déchirant… En même temps, j’avais besoin de mon énergie pour jouer cette tristesse. On ne peut pas se contenter d’être là et d’avoir l’air triste, il faut mettre une vraie énergie pour faire le père déchiré, il faut y aller, il faut donner, il faut crier… On doit sortir des choses du plus profond de soi… Les scènes qu’on a avec Jean Reno, à ce moment-là, c’était dur. On était très émus, on ne se parlait pas… On ne se parlait pas ! En même temps, il ne faut pas croire, on a beaucoup ri sur ce tournage. On a tourné en Hongrie et j’ai parlé un faux hongrois pendant trois semaines ! Avec Jean, on avait besoin de dire une bêtise par plan, à la fin des prises, histoire de ne pas se laisser plomber. Sans parler des vannes et des jeux de mots douteux que je n’oserais pas redire ici ! C’était notre soupape de sécurité. On avait besoin de ça.